Rappel historique :
En 1972, il y avait 18 000 personnes tuées/an sur les routes françaises. En 2018, 3 259 personnes ont perdu la vie sur le réseau routier métropolitain. Donc, en quarante-deux ans, la mortalité routière a baissé de 82 % alors que le trafic n’a cessé d’augmenter (indice de circulation multiplié par 10)... on peut également l’exprimer en disant qu’aujourd’hui, les usagers de la route ont cinq fois moins de risque de mourir au cours de leurs déplacements alors qu’ils se déplacent dix fois plus.
Techniquement, ces progrès considérables ont été obtenus par la mise en place de plusieurs mesures dont les principales ont été :
• Le port obligatoire de la ceinture de sécurité (VL, PL et autocars) et du casque pour les usagers de deux-roues motorisés (2RM)
• Les progrès techniques des véhicules (crash-test, carrosseries à déformation calculée, coussins gonflables -air-bag, pilotage électronique des éléments dynamiques au freinage, tenue de route et guidage…)
• Des limitations de vitesse
• Les aménagements routiers (ronds-points à la place des intersections en croix, progrès techniques pour les matériaux de revêtement des routes, aménagement de zones de sécurité au bord des routes, dispositifs de retenue des véhicules de type glissière métallique, bons pour les automobiles et hélas souvent fatales dans les accidents de 2RM, traitement des obstacles latéraux, éclairage et signalisation, ralentissement des flux motorisés en agglomération…)
Ces progrès sont peu spectaculaires, notamment parce qu’en s’étalant sur des décennies, ils sont lents, donc peu visibles, mais ils sont durables.
A contrario, les mesures à caractère coercitif annoncées dans la précipitation sont spectaculaires et vivement commentées dans les domaines politiques, médiatiques et associatifs.
Déficit de confiance dans les politiques publiques
Ainsi en va-t-il de la très controversée mesure du 80 km/h décrétée en 2018. Cette mesure répond directement à une exigence que se sont fixés les responsables politiques, instruits en la matière par des rapports officiels établis à l’échelle de l’Union européenne… Il y a maintenant une dizaine d’années, les élus et les fonctionnaires en charge de la Sécurité routière, avec l’appui des associations dites de « sécurité routière » ont annoncé pour objectif le chiffre de 2000 tués en 2020, soit quasiment la moitié du nombre annuel de tués sur les routes à cette époque. Mais comment y parvenir, alors que les mesures précédentes, de plus en plus fortes, n’avaient déjà pas produit les fruits espérés ? Consultés, les « Experts » ont logiquement conseillé de réduire la moyenne des vitesses autorisées… Scientifiquement, c’est imparable, ça ne peut que fonctionner ! C’est comme sauter du premier étage plutôt que du troisième, ça fera toujours moins mal !
Mais la politique est une autre forme de « science » que la raison ignore parfois. Proposée et discutée en 2013-2014 au sein du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), cette mesure mal comprise dans la population déjà prompte à la défiance a finalement été amoindrie sous la présidence de François Hollande qui craignait des effets « collatéraux » d’ordre électoraux dans la dernière année de sa mandature, face à une population par ailleurs en proie à la contestation sur d’autres domaines sociaux. Et c’est à la faveur d’une alternance politique que le nouveau premier ministre Édouard Philippe décide, fin 2017, de ressortir la baisse de la vitesse sur le réseau secondaire bidirectionnel, sans doute aussi soucieux de se montrer « fort et déterminé » que d’améliorer les résultats d’un domaine dont il ignorait beaucoup quelques mois auparavant.
Force est de constater aujourd’hui que pour l’instant, cette affaire du 80 km/h a peut-être évité des morts sur la route, mais sur le plan financier (coût des radars vandalisés, coût de la signalisation routière adéquate et dans une certaine mesure, facteur contributif de la Crise des Gilets-jaunes), le 80 km/h est un véritable gâchis, sans oublier l’essentiel : le rejet par la population des questions de sécurité routière ! Le premier ministre voulait une mesure de « rupture »… la rupture a eu lieu, mais pas celle qu’il attendait et pourtant, nous l’avions prévenu !
Convaincre plutôt que de contraindre
Participant aux débats du CNSR, la FFMC a, dès 2013, alerté sur les risques de rejet de toute la politique de sécurité routière en cas de passage en force du 80 km/h : en effet, la FFMC a toujours estimé qu’en matière de Sécurité routière, la conviction des individus, par eux-mêmes, produit des effets positifs plus durables que l’annonce de mesures spectaculaires, autoritaires et trop souvent portées par des messages clivants, culpabilisants et infantilisants… car c’est un fait, les élus, les experts et les hauts fonctionnaires en charge de ces questions ne peuvent pas s’empêcher de s’adresser aux populations concernées comme si ils s’adressaient à des enfants mal élevés et turbulents. Forcément, quelle que soit la raison à la base d’une mesure de sécurité routière, ce sont alors les passions qui l’emportent et le gouvernement, plutôt que d’écouter et tenter de comprendre, choisit à chaque fois de passer en force. C’est ce qui s’est passé à nouveau en janvier 2018, quand Édouard Philippe a annoncé, quasiment sur « conviction personnelle », la mesure du 80 km/h.
Quand bien même cette mesure produirait mathématiquement les effets désirés, ce fut d’autant plus maladroit que cette annonce a été faite sur le fond d’un climat social tendu pour d’autres raisons, dont certaines touchaient déjà les propriétaires de véhicules (taxes sur le carburant, hausses des péages d’autoroutes, durcissement du contrôle-technique des autos, vignette Crit’air rendant illégaux les véhicules de + de 10 ans, etc, etc…)
En ce qui nous concerne, en tant que représentants des usagers 2RM, nous regrettons et avons maintes fois dénoncé la non-pertinence des mesures visant spécifiquement les 2RM au cours des 15 dernières années.
En effet, il est tentant (pour des non-spécialistes) de dupliquer ce qui a amélioré, durant les décennies précédentes, la protection des automobilistes (attachés dans un véhicule carrossé posé sur quatre roues) et de s’imaginer un peu vite que ce qui fonctionne pour les autos devrait fonctionner aussi pour les 2RM… ce qui revient à comparer l’exposition aux risques entre un parapentiste et un joueur de pétanque au seul motif qu’ils pratiquent tous les deux une activité de plein air ! Absurde ? Oui, mais les mesures à l’encontre des usagers de 2RM le sont souvent. Surtout quand, invités à discuter préalablement avec les représentants de l’État, nous expliquons ce qu’il faudrait faire et ce qu’il faudrait éviter afin de convaincre les usagers et non de les dégouter davantage, ce qui les éloigne toujours plus des enjeux de sécurité routière.
Parmi ces mesures, voici celles qui ont le plus agacé les usagers 2RM :
• Récurrence des annonces portant sur un futur contrôle-technique (CT) des motos, alors qu’aucune étude scientifique n’a démontré que l’état technique du véhicule n’ait été une cause significative des accidents de 2RM… face à notre opposition, les demandeurs d’un tel CT (grandes enseignes de CT et représentants des chambres syndicales d’experts automobiles ayant un intérêt commercial) argumentent tour-à-tour sur la protection du consommateur dans le cas de la revente d’occasion, sur la lutte contre les échappements non-conformes et autres dispositifs non-homologués -donc déjà interdits par la loi- ou au prétexte « d’égalité du citoyen face à loi » : les automobilistes ont un CT, donc pourquoi pas les motards ? Égalité dans la contrainte, donc !
• Port obligatoire de gilet de haute-visibilité, transformé ensuite en brassard de 150 cm2 (mesure assortie d’une amende et d’un retrait de point du permis de conduire), alors qu’on sait que la visibilité des usagers vulnérables dépend principalement de l’attention des autres usagers au moment où ils engagent leur manœuvre (mesure finalement abandonnée à la demande de la FFMC invitée à participer au CNSR après l’élection de François Hollande)
• Port obligatoire de gants « homologués » bien que les motards avertis en portent déjà d’eux-mêmes et alors même que cette mesure ne fait pas bouger une ligne sur les bilans de la mortalité routière (mesure assortie d’une amende et d’un retrait de point du permis de conduire tandis qu’y contrevenir ne met pas en danger la vie d’autrui)
• Surenchère réglementaire redondante sur les minimotos finissant par criminaliser davantage tous les usagers 2RM alors que les minimotos (et autres engins non homologués) sont déjà interdits de circulation sur la voie publique. L’objectif pour le politique est d’apporter une « réponse politique » aux incivilités répétées dans les quartiers dits « sensibles »… mais le gain en sécurité routière, c’est zéro !
• Agrandissement de 2cm des plaques d’immatriculation des motos (rendant le modèle précédent illégal de façon rétroactive) au prétexte « d’égalité du citoyen face au contrôle-sanction-automatisé » alors que le modèle de la taille inférieure précédemment homologué était parfaitement relevable par les cabines-radars automatiques.
Le comble, c’est que ces mesures sont décidées alors que nous proposons des solutions alternatives, plus acceptables et plus efficaces, alertant sans cesse les fonctionnaires ministériels sur les ravages causés par des discours infantilisants et culpabilisants.
Que faudrait-il faire, selon la FFMC ?
• Rétablir la confiance avec les citoyens en les écoutant davantage, en prenant en compte ce qu’ils proposent et en le mettant en œuvre.
• Rétablir la notion de « sécurité routière » comme une valeur positive à partager, alors qu’elle est aujourd’hui perçue comme un domaine de restriction des libertés publiques, sentiment renforcé par l’implacabilité et la déshumanisation des moyens employés : vidéo-verbalisation, sanctions automatisées, fichiers, traitement « en ligne » rendu possible par le « tout-numérique ».
Comme l’assemblage d’un château de cartes qui demande de la patience et beaucoup de pondération, une bonne politique publique de sécurité routière est un équilibre de mesures acceptables selon le contexte social et elle ne produit des effets durables que sur un temps beaucoup plus long que le temps d’un mandat politique… et il suffit d’une déclaration, l’annonce d’une mesure mal comprise ou le « coup de menton » d’un politicien pour faire écrouler tout l’édifice et ruiner les acquis précédemment obtenus.