Prenant prétexte des dramatiques évènements de Londres et profitant du traumatisme qu’ils ne manquent pas de générer, légitimement, dans nos sociétés, le gouvernement français annonce un train de mesures visant à renforcer sa politique sécuritaire... contre le terrorisme, bien sûr.
Outre le renforcement du plan Vigipirate, seule mesure que l’on pourrait, pour un peu, véritablement qualifier de préventive, il est notamment question d’accroître le recours à la vidéo-surveillance, non seulement dans les transports en commun mais également dans les rues de nos villes. Certaines d’entres elles, d’ailleurs, se posent déjà en modèle de cette mise sous surveillance de nos moindres déplacements.
Or, comme on le sait, à Londres où ils pullulent, ces dispositifs n’ont pas empêché des assassins fanatiques d’accomplir leur sinistre besogne. Tout juste ont-ils permis de les identifier rapidement, ce qui n’est pas à franchement parler un exploit car ces gens-là n’ont besoin d’anonymat que jusqu’à l’échéance qu’ils se sont fixée. Un détail qui ravit par avance les victimes potentielles que nous sommes tous. L’expérience de Londres prouve par ailleurs que la video-surveillance ne réduit pas les chiffres de la délinquance, qui s’adapte très bien à ces nouvelles contraintes.
En réalité, notre gouvernement tente, une fois de plus, de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Les attentats de Londres ne sont qu’un prétexte pour mettre en place des dispositifs prévus de longue date. On se souvient, non sans une légitime émotion, du temps encore récent où, pour lutter contre la fameuse insécurité routière, nos édiles et leurs spécialistes patentés nous ont pondu le désormais célèbre "contrôle-sanction automatisé" (CSA) en contournant le droit constitutionnel, afin de mieux priver les citoyens-usagers-de-la-route de la présomption d’innocence. Système de répression contre lequel la FFMC s’est élevé avec véhémence.
Du reste, si l’on excepte les sites sensibles où les technologies de contrôle font florès, la route fait souvent figure de laboratoire pour contrôler l’usager. S’agit-il simplement de faire rentrer dans le rang les étourdis et autres "délinquants routiers" ou plutôt de surveiller nos allers et venues, au cas où ? On est en droit de se poser la question.
Ainsi, nos voisins britanniques, encore eux, pourtant déjà saturés de radars automatiques, songent-ils sérieusement à équiper les véhicules d’émetteurs-récepteurs GPS permettant, officiellement, de contrôler leur vitesse de déplacement par comparaison avec une carte des vitesses autorisées. Au troisième avertissement du dispositif embarqué, la prune attendra directement à la maison. Mais ici, comme pour notre CSA, c’est encore le propriétaire de la carte grise qui sera "sanctionné", pas son conducteur, du moins dans un premier temps.
Aussi, pour pallier cette fâcheuse lacune, l’Etat français a-t-il mis en chantier une carte nationale d’identité électronique (INES). Un temps mis en sommeil après que la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) l’ait récusé, en raison du risque de viol de la vie privée, et que la Ligue des Droits de l’Homme l’ait qualifié de scélérat, le projet, si tout va bien, devrait aboutir début 2006 : depuis la réforme de la CNIL en Août 2004, les pouvoirs publics peuvent en effet se passer de son autorisation en cas de traitements comportants des données biométriques.
Imaginez : Une carte d’identité permettant l’accès à toutes les données nous concernant, depuis notre état civil et nos empreintes digitales jusqu’à notre bulletin de santé et nos données biométriques en passant par la liste de nos PV et notre casier judiciaire. Et encore ne s’agit-il là que de données plus ou moins "publiques". En fait, de nombreux fichiers nous concernant pourront être interconnectés via INES.
Autre particularité, INES sera payante, environ 30 à 40 euros (faut bien financer la technologie de pointe), et, surtout, OBLIGATOIRE. Une nouveauté de notre droit qui se justifie par cette autre : cette carte sera également basée sur une technologie dite "sans contact" (RFID), c’est à dire qu’il ne sera pas besoin de la passer dans un lecteur pour la lire mais que sa puce pourra répondre aux sollicitations de simples balises implantées au bon vouloir des autorités... et d’autres "contrôleurs". On voit tout de suite le bénéfice de la chose : Son port étant obligatoire, on pourra identifier son propriétaire légitime à coup sûr, à distance, voire et à son insu. Son propriétaire légitime mais pas forcément son porteur ! Mais qui devra rendre des comptes ? Vous avez compris.
De plus, il paraît évident que tous les délinquants, routiers ou pas, ainsi que tous les terroristes complotant dans notre beau pays n’auront de cesse que de se l’être procurée afin de compléter efficacement les traces qu’ils auront laissées sur les caméras de vidéo-surveillance et sur leur bombes. On croit rêver. A moins qu’il ne s’agisse d’un cauchemar.
Mais le plus beau reste encore à venir car bientôt on pourra équiper nos enfants d’implants sous-cutanés (inoffensifs, naturellement) qui permettront de les localiser en permanence. Bien sûr, ceci pour les protéger contre les risques d’enlèvement, pas pour savoir à quelle vitesse ils roulaient sur leur vélo ou leur scooter ! Ne serait-il pas injuste de ne pas étendre le procédé aux adultes ?
Et ne parlons pas de l’autorisation prochaine des circuits vidéo d’intersurveillance qui nous permettront, à tous et depuis nos téléviseurs, de savoir à quelle heure et avec qui rentre la jolie blonde célibataire du sixième étage ou le beau brun ténébreux du rez-de-chaussée, ni de l’obligation faite aux opérateurs de conserver une trace de nos communications téléphoniques et de nos messages SMS ou Internet pendant trois ans !
Mais pourquoi tant d’acharnement à savoir en permanence où nous sommes, avec qui et ce que nous faisons ? C’est que, comme pour maintes choses mises en place au nom de notre bien-être, il y a aussi beaucoup d’argent à la clé et des promesses de profits faramineux. Ce n’est pas pour rien que Américains et Anglais s’affrontent aujourd’hui aux Français et à quelques autres Européens pour déterminer s’il vaut mieux identifier le couillon lambda grâce à son iris ou par ses empreintes digitales. De puissants groupes industriels et financiers (notamment SAGEM, le bon pourvoyeur des systèmes informatiques de CSA, cocorico) se lèchent déjà les babines à l’idée de nous protéger contre toutes les menaces connues ou à venir. Quel civisme !
On ne peut que frissonner en pensant à ce que les nazis et le gouvernement de Vichy auraient pu faire s’ils avaient eu de tels moyens à leur disposition.
En quoi cela nous concerne-t-il, demanderez-vous à juste raison ? La FFMC défend les motards sur la route, c’est à dire, également, au sein d’une société que nous voudrions libre et tolérante. Il ne peut y avoir de liberté pour nous, motards, dans une société qui en serait privée. CQFD. C’est pourquoi, si la FFMC ne fait pas de la lutte contre ces sombres perspectives son cheval de bataille, elle ne peut les passer sous silence et elle soutient les mouvements et associations démocratiques qui les dénoncent. En fait, nous ne faisons que relayer un combat qui nous concerne tous, citoyens épris de liberté, motards ou pas.
Que ce soit au nom de la lutte contre l’insécurité routière ou contre le terrorisme, ces systèmes mettent en péril nos libertés fondamentales telles que notre droit à l’anonymat et la protection de notre vie privée. Avancer, ainsi que le font certains, que l’on a rien à en craindre si l’on n’a rien à se reprocher est au mieux de l’aveuglement. Nous pensons, quant à nous, que c’est jouer aux apprentis sorciers et ouvrir la voie à de futures dictatures et au fascisme. Ceux qui les promeuvent s’en rendent objectivement complices et sont coupables de liberticide.
Alors, notre droit légitime à la sécurité est-il si antinomique de nos libertés individuelles et collectives qu’il faille renoncer à l’un ou aux autres ? Nous pensons que non. La solution ne se trouverait-elle pas plutôt dans l’avènement d’une société plus juste, plus solidaire, respectueuse des individus et de leurs différences ? Nous pensons que oui et nous soutiendrons cette vision. N’acceptons pas de pis aller.