Cette enquête publique passée quasiment sous silence dans un flot d’informations consacrées à la pire crise sanitaire que l’Europe ait connu depuis un siècle est intitulée : « projet de décret relatif au non-respect de manière régulière des normes de la qualité de l’air donnant lieu à une obligation d’instauration d’une zone à faibles émissions mobilité ».
Un peu d’histoire
Le projet « ZFE » censé lutter contre la pollution en ville remonte à 2011, quand, face aux alertes de pollution atmosphérique dans les grandes villes européennes, la France lance les « ZAPA », acronyme de « zone d’action prioritaires pour l’air ». Face au trafic automobile croissant, des épidémiologistes sonnent l’alerte et l’Union européenne décide de mettre des amendes aux pays ne respectant pas les seuils de pollution entrainant des dangers pour la santé humaine. En France, près d’une quarantaine de grandes communautés d’agglomérations se déclarent volontaires pour améliorer la qualité de l’air ambiant. Le projet ZAPA est rebaptisé « ZCR », pour zones à circulation restreinte qui prévoit d’interdire les véhicules les plus polluants en commençant par les voitures et les véhicules utilitaires fonctionnant au gasoil, carburant générant des micro-particules dangereuses pour la santé humaine. Dans le même temps, les normes de pollution sont durcies pour les fabricants de véhicules, dont certains contourneront autant que possible ces contraintes en trichant sur les niveaux d’émissions de leurs moteurs.
En août 2015, alors que les français sont en vacances, une loi « cadre » est adoptée : baptisée « loi pour la transition énergétique et la croissance verte ».
Cette loi prétend, dans son intitulé, « permettre à la France de contribuer plus efficacement à la lutte contre le dérèglement climatique et à la préservation de l’environnement, ainsi que de renforcer son indépendance énergétique ». Concernant la circulation des véhicules particuliers, elle permet notamment aux autorités locales (municipalités, communautés d’agglomérations, collectivité territoriales) de décider la mise en œuvre de réduction des émissions polluantes, en utilisant le dispositif « Crit’Air » par le biais d’une vignette qui permet ou pas l’accès aux zones à circulation restreintes. Le contrôle est prévu pour être numérisé par vidéo-verbalisation, non seulement par lecture automatique de la vignette codée, mais aussi par simple lecture des plaques d’immatriculation des véhicules, ce que permet désormais le SIV (système d’immatriculation des véhicules), fichier numérique des cartes grises mis en place à la fin de l’année 2009.
Glissement sémantique
Dans les années qui suivent, le dispositif ZCR est rebaptisé ZFE (« zones à faible émissions » étant socialement et sémantiquement plus acceptable que « zones à circulation restreinte »). En île-de-France, Paris se montre très actif et la municipalité en fait un argument écologique... mais en banlieue ou dans les zones péri-urbaines des grandes villes de province, les élus rechignent à imposer ces restrictions à leurs administrés, conscients que les populations les moins fortunées n’auront pas les moyens de remplacer leurs vieilles voitures.
Changement de braquet
La nouveauté ici est que ce projet de décret signifie que les maires n’ont plus le choix : désormais, la ZFE sera obligatoire en fonction de certains critères... La loi sur les ZFE aurait-elle été votée si dès le départ, l’obligation et la contrainte avaient été explicitement détaillées ? Voilà comment dans une des plus vieilles démocraties du Monde, le réglementaire prend le pas sur le législatif !
La FFMC invite les citoyens motards (ou pas) à répondre à la consultation publique
Pourtant, dès le début de la mise en place de ces restrictions, la FFMC a alerté sur l’impact social que cela allait engendrer. Elle a aussi contesté que les deux-roues motorisés (dont aucun n’est à moteur diesel) soient considérés comme des voitures, malgré l’alternative positive qu’ils représentent dans les questions de mobilité et de lutte contre les embouteillages. Alors que les gouvernements passent et que les ministres de l’Environnement se remplacent, la FFMC n’obtiendra jamais de réponse à ses questions et encore moins d’écoute à ses propositions ! Et pourtant, les motos et les scooters sont des véhicules légers, peu encombrants, ils entraînent beaucoup moins d’embouteillages que les voitures et même avec le conducteur seul à bord, leur taux d’occupation à 50% est largement supérieur aux autos avec une ou deux personnes à bord.
En attendant, l’idée des interdictions au motif de santé publique fait son chemin, souvent relayée par un matraquage médiatique par lequel ceux dont la fonction consiste à informer se contentent la plupart du temps de rapporter les éléments de langage des communicants ministériels. C’est ainsi que, face aux réels problèmes posés par la pollution due au trafic de véhicules, l’usager possesseur d’une voiture ou d’une moto devient peu à peu le responsable de ces maux ... pendant ce temps-là, l’industrie productiviste continue son business, les plate-formes d’achats en ligne mondialisées ne cessent de déverser leurs camions de livraison du bout du Monde jusqu’au domicile du consommateur, les industriels de la filière agro-alimentaires continuent d’user de pesticides et de transports qui permettent de livrer des légumes du bout du monde en 24 h dans les hyper-marchés, etc.
Aucune enquête sociale sur les conséquences de ces interdictions de circulation imposées à la population ne semble sortir du chapeau des cabinets ministériels... et pourtant, gouverner n’est-ce pas prévoir ?
Gouverner, c’est prévoir
« Prévoir », étymologiquement, c’est se préparer à voir.. or, obnubilé par ses courbes de croissance et ses facilités sans cesse allouées à la finance, le gouvernement ne voit rien, il n’entend rien, comme il n’a pas vu ni compris, en 2019, la crise des Gilets-jaunes. Elle a révélé les fractures sociales liées aux mobilités et aux contraintes de plus en plus nombreuses subies par une grande partie de la population qui n’a pas d’autre choix que d’utiliser un véhicule personnel pour contribuer à la vie publique et économique du pays.
En obligeant les gens qui n’ont pas d’autres moyens de déplacement que leur véhicule motorisé existant à le remplacer par un neuf ou plus récent, les ZFE ne font qu’alimenter le marché de l’automobile neuve sans apporter de solution à la crise environnementale. Pire, la fabrication mondialisée de ces véhicules neufs contribue à la pollution et au gaspillage des ressources et augmentent les inégalités sociales pour tous ceux qui ne peuvent pas, faute de moyens, remplacer leur véhicule interdit par un neuf ou récent qui sera autorisé.
Les réponses aux enjeux écologiques sont sociales et non pas techniques. La crise des Gilets-jaunes l’a montré et la crise sanitaire actuelle à cause de l’épidémie de Covid-19 le confirme.
Le déploiement des ZFE est une réponse technocratique et hypocrite à la crise environnementale. Et les ZFE pénaliseront encore davantage les populations pauvres qui n’ont pas le choix de leurs déplacements ni de leurs moyens de se déplacer.
Hélas, pas plus qu’il n’a été capable de prévoir, par la prévention et des moyens donnés aux systèmes de santé, la crise sanitaire qui nous est tombée dessus depuis un pangolin infecté, le gouvernement entend aujourd’hui passer en force, en catimini, en ce moment si difficile, pour contraindre les élus à imposer les ZFE. Ce que prévoit le décret qui fait l’objet de cette enquête publique ne leur laisse pas l’embarras du choix, mais juste le choix des embarras !
Informée et vigilante, la FFMC prévient encore le gouvernement que s’il persiste à imposer et à étendre les ZFE, d’autres révoltes plus fortes encore que celle des Gilets-jaunes se produiront et personne n’en sortira gagnant.