Démocratie à deux vitesses

Revenir à 90 km/h, c’est possible... mais impossible ! Les départements qui ont contesté la décision du gouvernement d’imposer le 80 km/h sur l’ensemble du réseau routier pour toutes les routes ordinaires ont finalement obtenu le droit de déroger à la réglementation imposée depuis juillet 2018. Mais avec de telles conditions qu’entre avoir le droit et pouvoir le faire, c’est un peu comme tenter de rallier les pôles à la nage... vous avez le droit d’essayer !

La démocratie… beau système qui permet d’élire librement ses dirigeants, lesquels mettent ensuite en œuvre ce que leur demande le peuple. Voilà pour le principe… pour que ça fonctionne, c’est un peu plus compliqué, mais c’est toujours mieux que la dictature ou le système féodal.

Pour le sujet qui nous concerne ici, notre Premier ministre a décidé en janvier 2018, à l’unanimité de sa conviction personnelle, d’abaisser de 10 km/h la vitesse maximum autorisée en vigueur sur nos routes bidirectionnelles sans séparateur central… ces bi-routes, c’est la majorité de notre réseau routier qui était limité à 90 km/h depuis une quarantaine d’années, période durant laquelle la mortalité routière a baissé de 82% (18 000 morts en 1972, 3 260 en 2018) alors que le trafic de véhicules a triplé sur la même période. Mais bon, la lutte contre l’insécurité routière doit se poursuivre, tout le monde en convient
Fort logiquement, les experts en sécurité routière conseillent depuis longtemps d’aller moins vite pour s’écraser moins fort et même pour éviter de s’écraser (ah, si seulement un antique imbécile n’avait pas inventé la roue !)
Comme notre premier ministre n’y connaît pas grand-chose en sécurité routière (ce n’est pas son boulot), il a demandé conseil à ceux qui savent. Et ces derniers ont tranché : il faut abaisser la vitesse autorisée sur les bi-routes de 90 à 80 km/h ! Ils auraient bien aimé baisser plus pour avoir moins de morts, mais pour aller moins vite, faut y aller mollo. « OK » a dit le premier ministre, « pour aller moins vite, on fonce, je m’en occupe, ça c’est mon boulot ! »

Mais vous savez comment sont les Français, habitués à la démocratie depuis plus de deux siècles : jamais contents, ils râlent tout le temps ! Et là, ils ont tellement râlé que les présidents des Conseils départementaux qui n’avaient pas vraiment été consultés, ni associés à la décision, ont demandé, démocratiquement, qu’ils puissent décider eux-mêmes, avec leurs habitants, des mesures des limitations de vitesse de leurs bi-routes. Votes, revotes, débats, navette parlementaire, la démocratie est passée et finalement, le gouvernement est d’accord, mais sous conditions : faudra cocher toutes les cases du catalogue en sécurité routière… toutes ! Et là seulement, vous ferez comme vous voudrez !

C’est un peu comme si le gouvernement, conseillé par des angiologues et des cardiologues, ainsi que par l’agence nationale des médicaments et les associations de prévention contre la violence des AVC, avait finalement décidé de rendre obligatoire, chaque matin, pour tous les habitants du territoire métropolitain, la prise d’une pilule censée réduire le risque cardio-vasculaire (environ 150 000 morts/an)… en accordant finalement une dérogation uniquement qu’à ceux qui pourront prouver que :
• ils ne fument pas ni ne boivent jamais d’alcool
• ils ne sont jamais stressés
• ils pratiquent au moins une heure d’activité physique chaque jour
• ils sont personnellement et en permanence équipés d’un tensiomètre, d’un masque à oxygène et d’un défibrillateur
• ils n’ont aucun antécédent familial porteur des facteurs de risques cardio-vasculaire
• Ils font un bilan de santé complet à l’hosto au moins une fois par trimestre
• ils peuvent certifier qu’ils consomment bien cinq fruits et légumes par jour

On exagère ? Pas du tout… le CNSR recommande aux conseils départementaux désireux de déroger à l’obligation de fixer la vitesse maximale à 80 km/h sur leurs réseaux bidirectionnels, de respecter les conditions suivantes :
• en l’absence d’un séparateur central, interdire tout dépassement par une double bande blanche continue assortie d’un revêtement à alerte sonore (sorte de vibreur)
• élargir et aménager les accotements sur une largeur minimale de 1,50 m avec bande sonore au bord de la chaussée
• aménager les accotement dans une zone de 4 m (comprenant les 1,5 m déjà prévus) sans obstacles « latéraux » : pas d’arbres, pas de poteaux, ni de pile de pont, ni de buses de pluvial, ni de vieilles bornes Michelin en béton…
• et enfin, pour éviter les accidents « en intersections », interdire la traversée et le « tourne-à-gauche » (ce qui est déjà interdit par la double bande blanche continue, pour ceux qui suivent).

En outre, pour que la demande de dérogation soit acceptable, il faut que les gestionnaires des routes concernées aient préalablement procédé à un état des lieux de l’accidentalité routière des zones considérées limitées à 80 km/h. Il leur faudra également réaliser des contrôles de vitesse, sur un tronçon d’au moins 500 m, pour démontrer que la moyenne de dépassement des limitations de vitesse n’excède pas 85 km/h pour les poids-lourds déjà limités à 80 et qu’elle ne dépasse pas 90 km/h pour les véhicules légers (motos et voitures).

Enfin, pour que ces routes soient admissibles à la dérogation, il faut qu’elles remplissent les caractéristiques suivantes :
• elles ne doivent pas comporter d’arrêt de transports en commun
• elles ne doivent pas être accessibles à des engins agricoles
• elles ne doivent pas être traversées par des chemins de randonnées ou des voies cyclables
• et bien évidemment, ces routes sont tellement désertes qu’elles ne comportent aucun riverain !

Bref, pour envisager de repasser ces routes à la vitesse autorisée de 90 km/h, il faudrait que nos routes de campagne possèdent déjà tous les aménagements des voies express ou alors qu’elles soient tracées dans le désert ou sur la Lune, là elles sont les plus utiles, comme chacun le sait !

Et, cerise sur le pompon du gâteau, il est expressément dit et répété à l’inconscient président de département décidé à déroger au 80 km/h que si par malheur il y avait quand même un mort sur sa bi-route remontée à 90 km/h, ça serait de sa faute et qu’il devra en rendre compte, saperlipopette !

Allez, bon courage mesdames et messieurs les président-es des conseils départementaux !

Le « catalogue » des mesures en vue de candidater à une éventuelle dérogation est à télécharger ici : https://conseilnational-securiteroutiere.fr/les-travaux/#les-rapports-dexperts en cliquant sur l’onglet « la dérogation à la vitesse maximale autorisée de 80 km/h… »