L’indemnisation du préjudice corporel

La loi Badinter, du nom de son auteur, a pour finalité d’améliorer la situation des victimes d’accidents corporels de la circulation dans lesquels sont impliqués un ou plusieurs véhicules terrestres à moteur, et d’accélérer leur indemnisation

Champ d’application


Cette loi s’applique aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur.

1. Un véhicule terrestre à moteur

Par “véhicule terrestre à moteur”, on entend les automobiles, deux-roues, autocars et tracteurs… « à l’exception des trains et tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ». On y inclut tous les engins terrestres à moteur qui servent au transport des personnes ou des choses, ainsi que leurs remorques. La présence d’un moteur est l’élément indispensable : ce qui exclut donc les vélos, les rollers…

2. Un accident

La notion d’accident englobe les chocs, heurts et collisions d’un véhicule avec un autre véhicule, un cycliste, un piéton, un obstacle, mais également l’incendie ou l’explosion causés par le véhicule ou par les choses transportées. À l’inverse, sont exclus les accidents dont la survenance est recherchée volontairement par son auteur (infractions volontaires telles que l’incendie volontaire d’un véhicule, la volonté délibérée de percuter un piéton…).

3. La notion d’implication

Cette notion est très large : un véhicule est impliqué dès lors qu’il est intervenu, à quelque titre que ce soit, dans l’accident. Ce peut être le cas bien évidemment lorsqu’un choc s’est produit entre deux véhicules, mais aussi en absence de choc. Par exemple, lorsqu’un véhicule heurte un obstacle en cherchant à éviter un autre véhicule qui aurait commis une manœuvre perturbatrice. Ce dernier est alors impliqué dans l’accident. C’est à la victime de prouver l’implication de ce véhicule tiers dans l’accident .

Les victimes indemnisées


1. Les piétons, cyclistes et passagers

Ils seront indemnisés de la totalité de leurs préjudices corporels , sauf s’ils ont commis une faute inexcusable qui est la cause exclusive de l’accident (art. 3 de la loi de 1985). Dans ce cas, ils n’obtiendront aucune indemnisation. La faute inexcusable est « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ». En pratique, la faute inexcusable de la victime ne sera retenue que dans des cas très exceptionnels.
Les victimes “super-privilégiées”, c’est-à-dire les piétons, cyclistes et passagers de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans ou les victimes ayant un taux d’incapacité ou d’invalidité au moins égal à 80 %, seront indemnisées de la totalité de leurs préjudices corporels même dans l’hypothèse où ils auraient commis une « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ».
En revanche, qu’elles soient “super-privilégiées” ou non, leur droit à indemnisation est exclu lorsque elles ont volontairement recherché le dommage (tentative de suicide).

2. Les conducteurs

Les conducteurs victimes ne seront pas indemnisés de la totalité de leurs préjudices s’ils ont commis une faute en lien avec la survenance de l’accident ou de leur dommage (alcoolémie excessive, franchissement d’une ligne blanche, excès de vitesse…). Selon la gravité de cette faute, leur indemnisation sera limitée ou exclue.
L’éventuelle faute d’un tiers ne doit par entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la gravité de la faute commise par la victime conductrice.

Les obligations de l’assureur durant la procédure d’indemnisation


1. Dossier d’information

L’assureur d’un véhicule impliqué dans un accident de la circulation, à la suite duquel une personne a subi un dommage corporel, reçoit dans les mois qui suivent l’accident le PV de police par un organisme appelé TRANSPV. Dans son premier courrier, l’assureur doit adresser à la victime une notice expliquant le déroulement de l’indemnisation. Il doit également informer la victime qu’elle a le droit de se faire assister de son médecin ou de son avocat à toutes les étapes de la procédure. Un certain nombre de renseignements seront demandés à la victime, laquelle dispose d’un délai de six semaines pour répondre à cette demande.
Elle devra indiquer :

  • son état civil détaillé (nom, prénoms, date et lieu de naissance) ;
  • son activité professionnelle et l’adresse de son employeur ainsi que les justificatifs de ses revenus ;
  • son numéro de sécurité sociale et les coordonnées de sa caisse primaire d’assurance maladie ;
  • la description des dommages corporels et les certificats médicaux déjà rédigés.
  • la liste des personnes fiscalement à charge au moment de l’accident -* la liste et les coordonnées des tiers payeurs appelés à lui verser des prestations ;
  • le lieu où les correspondances doivent être adressées.

    Si la victime décède, l’assureur devra prendre contact avec les héritiers et le conjoint ou le compagnon de celle-ci. Ils devront eux aussi donner toute une série de renseignements :

  • leurs nom et prénoms, date et lieu de naissance ainsi que ceux de la victime ;
  • leurs liens avec la victime ;
  • leur activité professionnelle et l’adresse de leur employeur ;
  • le montant de leurs revenus avec les justificatifs ;
  • la description de leur préjudice, notamment les frais de toute nature qu’ils ont engagés du fait de l’accident ;
  • leur numéro de sécurité sociale et l’adresse de la caisse d’assurance maladie dont ils relèvent ;
  • la liste des tiers payeurs appelés à leur verser des prestations ainsi que leurs adresses ;
  • le lieu où les correspondances doivent être adressées.

    Depuis la loi n°2003-706 du 1er août 2003, la victime peut prendre l’initiative de la procédure pour accélérer son indemnisation. Mais l’indemnisation ne sera réellement accélérée que dans les hypothèses où la responsabilité de l’accident n’est pas discutée.
    En tout état de cause, l’indemnisation ne peut avoir lieu que dans la mesure ou la victime est consolidée.

    2. La convocation à un examen médical

    L’assureur du responsable doit proposer à la victime de se présenter à une réunion d’expertise médicale amiable au cours de laquelle un médecin-conseil qu’il aura préalablement désigné procédera, si elle est consolidée, à l’évaluation des séquelles conservées par cette dernière à la suite de l’accident. L’assureur, ou le médecin qu’il aura désigné, convoquera la victime par un courrier adressé au moins 15 jours avant la date de la réunion. La victime aura la possibilité de se faire assister lors de cette réunion par un médecin de son choix. Le rapport médical établi par le médecin désigné par l’assureur doit être transmis à la victime dans un délai de 20 jours. L’assureur en recevra une copie dans le même délai. Si le médecin conseil de la victime et celui de l’assureur n’arrivent pas à se mettre d’accord, un troisième expert pourra être sollicité en qualité d’arbitre afin de les départager3.
    Le médecin désigné dans un cadre amiable ou judiciaire, devra rédiger un rapport afin d’évaluer les différents chefs de préjudice et déterminer la date de la consolidation . Le rapport d’expertise ne fixe en général aucun montant (par exception, certains médecins chiffrent les frais médicaux restés à charge ou la perte de revenus subie par la victime avant et après la date de consolidation). Le rapport devra comporter un rappel des faits, indiquer les doléances de la victime, se prononcer sur un éventuel état antérieur, consigner les constatations médicales du médecin lors de l’examen médical pratiqué le jour de la réunion, et comporter une partie « discussion » avec, in fine, les conclusions retenues.

    La rubrique discussion a pour objet de détailler l’évaluation des séquelles qui sont ensuite résumées dans les conclusions sous forme de chefs de préjudice, dont notamment :

  • la durée de l’Interruption Temporaire de Travail, la durée du Déficit Fonctionnel Temporaire Total et/ ou Partiel ;
  • le Déficit Fonctionnel Permanent (ex IPP) qui est chiffré entre 0% et 100% ,
  • le cas échéant, la mention de l’existence d’un préjudice, d’une incidence professionnel, d’un préjudice d’agrément, d’un préjudice d’établissement…
  • le pretium doloris et le préjudice esthétique qui sont évalués sur une échelle de 0 à 7/7.

    La consolidation est une notion médicale. Elle désigne le moment où les lésions se stabilisent et prennent un caractère définitif : aucun traitement n’est plus nécessaire, sauf pour éviter une aggravation de l’état de la victime. La consolidation ne signifie pas la guérison, mais elle matérialise un palier dans l’évolution des lésions. C’est à partir de ce moment que l’on peut évaluer le préjudice.

    3. L’offre d’indemnisation

    Une offre de transaction sera ensuite présentée, dans un délai maximum de 8 mois à compter de l’accident. Elle aura un caractère provisionnel, tant que les blessures de la victime ne seront pas consolidées. La victime peut accepter cette offre, la négocier ou la rejeter. Une fois l’offre acceptée, elle devient une transaction, qui peut encore être dénoncée par la victime par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de 15 jours. Les sommes correspondantes seront versées dans le mois suivant l’expiration du délai de dénonciation (soit un mois et demi après la conclusion de la transaction). A défaut, des intérêts seront dus. Si les sommes proposées dans la transaction sont insuffisantes à la réparation des préjudices de la victime, cette dernière peut opposer son désaccord par lettre recommandé avec accusé de réception à l’assureur ; lequel lui fera alors une nouvelle offre. S’il refuse ou si la nouvelle offre ne convient pas à la victime, elle devra saisir le tribunal compétent (selon le montant du litige). Il est à rappeler que si le juge qui fixe l’indemnité estime que l’offre proposée par l’assureur était manifestement insuffisante, ou formulée hors délai, il condamne d’office l’assureur à verser au fonds de garantie une somme déterminée et des intérêts de retard au bénéfice de la victime (« indemnités-sanction »), en plus des sommes qu’il doit régler à cette dernière en réparation de son préjudice. Cette disposition est destinée à protéger les victimes en forçant les assureurs à instruire correctement le dossier.

    A tout moment, la victime peut demander une provision sur les sommes à percevoir. Cette demande peut même être renouvelée. Si l’assureur refuse, il est possible de saisir le juge des référés de cette demande, sous réserve que le montant sollicité soit justifié et qu’un tel versement ne présente pas un risque de répétition.

    L’offre d’indemnisation comprend la réparation du préjudice corporel et du préjudice matériel, mais seulement lorsque ce dernier n’a pas fait l’objet d’un règlement préalable. L’offre doit couvrir tous les éléments du préjudice. Les sommes calculées subissent, s’il y a lieu, une réduction qui peut résulter des fautes commises par la victime (cf. infra). L’assureur doit alors fournir les explications de cette réduction, c’est-à-dire qu’il doit chiffrer la part de responsabilité de la victime et l’appliquer à l’évaluation qu’il a faite. Dans l’hypothèse d’un désaccord de l’assureur et de la victime sur ce point, cette dernière pourra saisir le juge du fond afin de faire trancher le litige. L’indemnisation est aussi diminuée des sommes payées ou à payer par les organismes participant à l’indemnisation du préjudice de la victime afin d’éviter une double indemnisation au bénéfice de cette dernière. Une copie des décomptes de ces organismes est jointe à l’offre.

    Aggravation de l’état de santé de la victime

    Si de nouvelles séquelles apparaissent, la victime peut demander à l’assureur qui a versé l’indemnité de réparer l’aggravation de son dommage (nouveaux frais médicaux nécessités par l’aggravation de son état de santé, retentissement de cette aggravation sur son activité professionnelle…). Pour cela, il faut agir dans les dix ans à compter de la consolidation de l’aggravation. Mais la victime devra prouver par une expertise médicale que cette aggravation est liée à l’accident et non au vieillissement naturel du corps ou à un autre événement (nouvel accident, chute…).

L’évaluation du préjudice


Le préjudice corporel de la victime correspond à l’ensemble des conséquences du dommage corporel (blessures ou décès), qu’il s’agisse de l’atteinte à l’intégrité physique (frais médicaux, incapacité temporaire ou définitive…), de l’atteinte morale ou économique (perte de gain pendant l’arrêt de travail…).
Seuls sont indemnisés les préjudices directement liés à l’accident, présents, ou futurs s’ils présentent un caractère certain .
Il n’existe pas de barème national permettant de calculer l’indemnité revenant à la victime au regard des conclusions de l’Expert médical. L’évaluation se fait au cas par cas. Dans la pratique, les assureurs se fondent soit sur des barèmes établis à partir de la jurisprudence de la cour d’appel du lieu de l’accident, lorsqu’il y en à une, soit sur les sommes généralement allouées dans des cas similaires.

Deux types de préjudices doivent être distingués :

1. Le préjudice patrimonial

On indemnise les conséquences financières de l’accident, à savoir :

  • Les frais médicaux
  • Les frais divers : Ce poste regroupe l’ensemble des frais exposés par la victime avant la consolidation en lien avec l’accident (Dont notamment l’assistance d’une tierce personne avant consolidation, les frais de déplacements ou d’assistance à expertise…)
  • La perte de gain actuelle (avant consolidation) : Ce poste indemnise la perte de salaire subie durant la période pendant laquelle la victime a dû arrêter de travailler (ITT), elle ne répare pas les pertes de revenu d’un travail illégal, elle comprend les pourboires s’ils sont justifiés,
  • Le préjudice économique : Ce poste indemnise la perte de revenu subie à compter de la date de consolidation des blessures (un pianiste qui perd un doigt)
  • L’incidence professionnelle : Ce poste indemnise le retentissement des séquelles de l’accident en dehors de la perte de gains subie par la victime (pénibilité, fatigabilité, reclassement…)
  • L’assistance d’une tierce personne après la date de consolidation.

    2. Le préjudice personnel

  • Le déficit fonctionnel temporaire (ex gêne durant l’ITT) : Ce poste indemnise la dégradation de la qualité de vie subie par la victime durant la maladie traumatique (avant consolidation).
  • Le pretium doloris : Ce poste indemnise la douleur physique et morale
  • Le préjudice esthétique temporaire (avant la date de consolidation) : Ce poste indemnise la modification de l’aspect physique de la victime ou de sa présentation aux tiers (Plâtres, amputations, appareillages…) durant la maladie traumatique
  • Le déficit fonctionnel permanent (ex IPP) : Ce poste indemnise le handicap subi par la victime du fait des séquelles conservées à la suite de l’accident, il est exprimé en pourcentage.
  • Le préjudice d’agrément : Ce poste indemnise la gêne ou l’impossibilité pour la victime de jouir des agréments (activités sportives ou loisirs) qui étaient les siens avant l’accident
  • Le préjudice esthétique permanent (à compter de la date de consolidation) : Ce poste indemnise la modification définitives de l’aspect physique de la victime ou de sa présentation aux tiers (cicatrices, amputations, présentation en fauteuil, boiterie…)
  • Le préjudice sexuel : Ce poste indemnise la gêne ou l’impossibilité pour la victime de s’épanouir dans sa vie sexuelle
  • Le préjudice de procréation : Ce poste indemnise l’impossibilité pour la victime de procréer du fait d’atteinte aux organes sexuels ou reproducteurs
  • Le préjudice d’établissement : Ce poste indemnise la perte de chance pour la victime de réaliser un projet de vie familial.

N.B. : cette liste n’a pas vocation à être exhaustive.

Jean-Denis Galdos

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